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Des miracles étonnants
n°315

Rome

XVIe siècle

Saint Pie V et le miracle du crucifix

Le 1er mai 1572, le pape Pie V mourait à Rome, de mort naturelle, bien que ses ennemis aient essayé de l’assassiner quelques années auparavant. En effet,élu pape en décembre 1565, par surprise car on attendait l’élection du cardinal Borromée (futur saint Charles), le grand inquisiteur Michele Ghislieri inquiète beaucoup de gens, tant à Rome qu’à l’étranger. Sa courageuse rigueur, quand il s’agit d’imposer à l’Église les urgentes réformes décidées par le concile de Trente, lui valent la haine de ceux qui, dans le clergé, profitent de la simonie et du népotisme. Cette haine est renforcée par les jugements qu’il rend dans le cours de ses fonctions inquisitoriales, sa lutte contre le protestantisme, les hérésies et déviances de la foi catholique, l’inimitié de la reine Élisabeth d’Angleterre, la méfiance de l’Empire ottoman, qui voit en lui l’ultime obstacle à ses rêves expansionnistes en Europe, et le mécontentement du peuple romain, qui redoute que ce sévère dominicain veuille le priver de ses amusements. Cela fait nombre d’adversaires, dont certains – car l’époque est violente et sans scrupules – pourraient attenter à ses jours. Le pape le sait mais ne dévie pas de sa route, s’en remettant au Ciel pour sa sauvegarde. Il a raison, puisque le Christ lui-même interviendra pour le protéger d’une tentative d’empoisonnement.

© Unsplash, Laura Allen.
© Unsplash, Laura Allen.

Les raisons d'y croire :

  • Au couvent Santa Sabina, sur l’Aventin, maison généralice des Dominicains à Rome, l’on peut voir, outre la cellule qu’occupa le frère Michele Ghislieri quand il y était religieux, un magnifique crucifix d’ivoire lui ayant appartenu. Le soin pris à conserver l’objet depuis la mort de Pie V et la caution de saint Pie X accréditent le miracle dont Pie V bénéficia, à une date indéterminée, dans les premiers temps de son pontificat, et dont ce crucifix fut l’intermédiaire.
  • Nul n’ignore l’extrême piété du souverain pontife qui, malgré ses très lourdes responsabilités, n’a rien retranché à sa vie de prières et de mortification. Chacun sait qu’il jeûne jusqu’à l’excès, se prive de boire au-delà du raisonnable, ce qui lui a provoqué une grave maladie rénale dont il mourra. Dans ces conditions, il est malaisé de recourir à l’arme italienne favorite de l’époque quand il s’agit de se débarrasser d’un gêneur : le poison. Faute de banquet où l’on pourrait atteindre le verre ou l’assiette du pape, il faut recourir à des procédés plus complexes.
  • Le talent des empoisonneurs de l’époque n’est pas une légende. Ils sont capables d’imprégner des gants ou une chemise d’un venin qui, au contact de la peau, se répand dans l’organisme et tue, sans remède possible. L’on cite l’exemple d’un invité qui, méfiant, ne touchait aux aliments offerts que si son hôte les partageait avec lui, et qui succomba d’avoir mangé la moitié d’une pomme coupée en deux devant lui, un seul côté de la lame de couteau étant empoisonné… Le procédé choisi pour tuer le pape n’a donc rien d’impensable pour l’époque.
  • On attribue quelques miracles à Pie V de son vivant : un jour, il offre à l’ambassadeur de Pologne un mouchoir contenant un peu de terre ramassée sur la place Saint-Pierre en guise de reliques de martyrs, et lui affirme qu’elle est imbibée du sang des premiers chrétiens martyrisés dans le cirque du Vatican. Dépité, le diplomate a la surprise, en dépliant le linge, de le trouver maculé de taches de sang frais… Cependant, ce n’est pas cette scène que l’on trouve représentée chaque fois que les artistes ont voulu évoquer Pie V, mais le « miracle du crucifix » dont il fut le bénéficiaire – signe que c’est un miracle connu de tous.
  • Il n’existe dans les appartements pontificaux, aussi dépouillés que son ancienne cellule, qu’un seul objet dont on soit certain qu’il le touche chaque jour : un crucifix d’ivoire d’une grande beauté, unique objet de valeur en sa possession, devant lequel il reste longuement en prière. Chacun sait, dans l’entourage du pape, qu’à la fin de ses oraisons, Pie V a coutume d’embrasser respectueusement les pieds du Crucifié.
  • C’est ce qu’il veut faire, comme d’habitude, ce matin-là, mais il ne le peut, car, à l’instant où ses lèvres vont se poser sur les pieds du crucifix, l’image prend vie et Jésus se dérobe à ce baiser.
  • Pie V est quelqu’un de lucide, peu porté aux phénomènes mystiques ou supposés tels, dont, en bon inquisiteur, il se défie, craignant d’y voir la marque du diable. D’une très profonde humilité, il se pense sincèrement indigne des charges qu’il occupe et ne peut s’imaginer mériter la moindre faveur céleste, tant il se juge pécheur.
  • Sa première réaction est d’ailleurs celle de quiconque serait confronté à un fait invraisemblable : il pousse un hurlement qui fait accourir tout son entourage. Ce n’est pas ce que ferait un mythomane ou un menteur, dont les défauts sont absolument étrangers à Pie V.
  • Reprenant ses esprits, le pape commence à soupçonner une intervention divine, mais pour une raison précise : empêcher que la sainte image soit l’instrument d’un crime sacrilège. Il en conclut que, s’il n’a pu embrasser comme d’habitude les pieds du Christ, c’est qu’ils sont enduits de poison.
  • Il demande alors que le crucifix soit précautionneusement essuyé avec de la mie de pain, que l’on donne ensuite à manger à un chien – seule contre-épreuve disponible alors pour détecter la présence de poison. Quelques minutes après avoir mangé le pain, l’animal meurt.
  • Comme seul un intime ayant libre accès à la chambre du pape a pu déposer le poison sur le crucifix, il serait normal de rechercher le coupable, le faire avouer et condamner. Or, Pie V, même s’il a des soupçons, refuse que l’on enquête et pardonne à celui qui a voulu l’empoisonner.
  • La rumeur du prodige s’étant répandue dans Rome, ainsi que celle de la magnanimité du pape, il n’y aura plus jamais d’autre tentative, et Pie V mourra de maladie, ce qui accrédite ce miracle.
  • Il aurait été facile, à l’époque moderne, si l’on avait eu un doute sur le prodige, de laisser l’objet et son histoire sombrer dans l’oubli ; cela n’a absolument pas été le cas, ce qui permet de conclure à la véracité de l’événement.

Synthèse :

À sa naissance, le 17 janvier 1504, à Bosco, près de Mondovi, dans le diocèse d’Alessandria (Piémont), Ghislieri a reçu, comme c’est souvent l’usage, le prénom du saint du jour, Antonio. Quand il entre chez les Dominicains, en 1518, il prend en religion le nom de Fra Michele. Brillant intellectuel et théologien, ordonné prêtre en 1528, puis devenu prieur du couvent d’Alba, il est chargé d’endiguer le luthérianisme qui, dans les années 1550, se répand dans la région de Côme, où l’évêque est sur le point d’abandonner la foi catholique.

Vrai fils de saint Dominique, c’est par la parole, la persuasion de ses arguments, et l’aide de la Vierge Marie qu’il veut triompher de l’hérésie. Réveiller la dévotion mariale suffit souvent à ramener à la foi ancestrale. Ghislieri y excelle, de sorte que, lorsque le cardinal Carafa, chef de l’Inquisition, devient le pape Paul IV, ce dernier nomme Fra Michele pour lui succéder. Il le nomme évêque, puis cardinal, au grand dam de cet humble moine qui conservera, même devenu pape, sa robe blanche dominicaine, origine du vêtement blanc des souverains pontifes.

C’est saint Charles Borromée, neveu de Pie IV, qui, en décembre 1565, sur le point d’être élu, se jugeant trop jeune pour la tiare à vingt-huit ans, détourne les votes sur Ghislieri et le fait élire.

Cet homme, dont on affirme qu’on ne l’a jamais vu rire ni sourire, a en revanche le don des larmes et pleure abondamment ses péchés et ceux de l’Église.

Convaincu d’être en dessous de sa tâche, il s’en remet à Dieu, donnant sans cesse l’exemple de la piété, de la dévotion, de la pénitence, parcourant les rues de Rome, rosaire en main, en digne dominicain, mettant à l’honneur la récitation et appliquant fermement les décisions conciliaires : obligation pour les évêques, sous peine de prison, de résider dans leur diocèse ; respect du caractère sacré des églises, trop souvent profanées ; instauration de la prière des Quarante-Heures en réparation des excès du carnaval, qu’il est impuissant, sous peine de révolte populaire, à interdire, tout comme d’ailleurs la prostitution dans Rome ; fin du népotisme, qui faisait de la direction de l’Église et ses États la chasse gardée de quelques grandes familles ; obligations pour les princes chrétiens de recevoir et mettre en application les directives conciliaires, sous peine d’excommunication. Si, dans le domaine politique, Pie V commet des erreurs, dont certaines, telle la ghettoïsation des juifs de Rome, lui seront durement reprochées, il n’en va pas de même au plan spirituel. En six ans de pontificat, Pie V, même s’il n’en verra pas la fin, parvient malgré tout à mettre en œuvre l’essentiel du programme tridentin : réforme des mœurs ecclésiastiques, instauration des séminaires, qui formeront enfin des prêtres pieux et instruits, publication du missel dit « de saint Pie V », du nouveau bréviaire, du nouveau catéchisme et de l’intégralité de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin.

En 1570, la pression ottomane sur la Méditerranée, l’Adriatique et la péninsule italienne étant devenue inquiétante, il parvient à réunir contre le Turc une coalition jugée impossible qui permet, le 7 octobre 1571, la triomphale victoire de Lépante. Pie V en attribue le mérite au généralissime, don Juan d’Autriche, et surtout à la Sainte Vierge qu’il a fait prier pour le succès catholique. La fête de Notre-Dame du Rosaire est instaurée en remerciement de ce succès miraculeux.

Pie V meurt le 1er mai 1572, après des semaines d’agonie, d’une crise de néphrite.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin :

Roberto de Mattei, Saint Pius V, Sophia Institute Press, 2021.


En savoir plus :

  • Comte de Falloux, Vie de saint Pie V, 1851 (réédition en 2005).
  • Nicole Lemaître, Saint Pie V, Fayard, 1994.
  • Père Philippe Verdin, Pie V, le pape intempestif, Cerf, 2018.
  • Robin Anderson,Saint Pius V, Tan Books, 1978 (en anglais).
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