Alphonse Rodriguez, le saint portier jésuite
Venu au monde en 1533, à Ségovie (Espagne), Alphonse Rodriguez se trouve obligé de reprendre le commerce familial avant la fin de ses études à cause du décès de son père. Il se marie et a trois enfants, que la mort emportera bientôt, de même que leur mère. Son entreprise, elle, périclite. Alphonse Rodriguez se tourne alors vers les Jésuites et approfondit son union intime avec Dieu. Le provincial de Valence finit par l’accueillir dans la Compagnie de Jésus. Envoyé à Palma de Majorque, il demeure frère portier du couvent de Montesion pour le restant de sa longue vie. Alphonse Rodriguez s’inscrit dans la « petite voie » de ces innombrables saints ayant choisi l’humilité et l’oubli durant leur vie dévouée aux autres et à l’adoration divine. Léon XIII le canonisera en 1888.
Francisco de Zurbarán, La Vision d'Alphonse Rodriguez, 1630, Académie royale des Beaux-Arts Saint-Ferdinand, Madrid. /© CC0/wikimedia
Les raisons d'y croire :
- Ce n’est qu’après sa mort, en 1617, que le journal du frère est découvert (Mémoire de certaines choses qui sont arrivées à cette personne). Ces notes spirituelles confirment son humilité immense, révèlent la profondeur et la qualité de sa vie intérieure et montrent une intelligence du cœur inexplicable sans le secours d’une grâce supérieure.
On apprend ainsi qu’Alphonse Rodriguez a reçu plusieurs grâces mystiques, des extases et des visions du Christ, de sa mère et des saints. « Mon cœur plein d’amour pour Dieu est extrêmement désireux de lui plaire ; et pour lui être agréable, je suis prêt à renoncer à tout en ce monde et à moi-même […] Je vais trouver Jésus et Marie et converser avec eux ; ils me répondent avec une douce suavité et me font connaître leur sainte volonté, en m’apprenant en même temps comment l’exécuter » (mémoire écrit en juin 1615).
- Les innombrables personnes qui l’ont croisé à la porte du couvent, même sans le connaître, ont témoigné de sa bonté hors du commun. Le frère Alphonse transcende la tâche ennuyeuse et répétitive de portier en voyant dans chaque visiteur un autre Christ.
- Malgré sa simplicité et son inculture, il fut un maître et un conseiller pour saint Pierre Claver qui fut l’un des grands évangélisateurs de l’Amérique du Sud.
- Le frère Alphonse Rodriquez est réputé pour son obéissance parfaite et constante. Celle-ci s’explique car il était convaincu qu’en accomplissant les ordres de son supérieur, il exécutait ceux du Christ.
- Depuis le pape Urbain VIII, la canonisation d’une personne implique la reconnaissance de l’héroïcité de ses vertus et l’authentification de plusieurs miracles dus à son intercession. Ce fut le cas pour Alphonse Rodriguez : on retient notamment les guérisons subites et complètes de Joachima Rocha y Rayo (cancer de la rate, gastrite et péritonite étendue, Majorque, juillet 1830) et de sœur Marie Alphonse Gallis (cancer de l’estomac, monastère Sainte-Colette à Anvers, 1858).
Synthèse :
Né dans cette Espagne du XVIe siècle que le monde admire, Alphonse Rodriguez n’a cependant rien d’un conquistador, d’un hidalgo ou d’un quelconque personnage de romancero. Son histoire ne commençait pourtant pas trop mal, d’un point de vue mondain : fils d’un riche marchand de laine et de tissus de Ségovie, qui avait accueilli dans sa maison l’un des premiers compagnons français de saint Ignace de Loyola, Pierre Favre – lequel avait même aidé le jeune garçon à préparer sa première communion –, Alphonse était déjà lié, sans qu’il le sache, dès l’enfance, à la Compagnie de Jésus.
C’est encore dans un collège jésuite qu’il est envoyé commencer ses études à douze ans. Hélas, bientôt, la mort inopinée de son père le force à les interrompre : il doit reprendre l’entreprise familiale avec sa mère. Il se marie à vingt-sept ans avec une certaine Maria Suarez qui lui donne trois enfants. Cruelle destinée : son épouse meurt, de même que chacun des enfants. Comble de malheur, son entreprise, mal gérée et écrasée d’impôts, fait faillite. À trente-cinq ans, le futur saint Alphonse Rodriguez est seul, ruiné, veuf et désemparé. Il va toquer à la porte des Jésuites, qui le refusent au motif qu’il est trop âgé, pas assez savant et de santé fragile.
Ne désespérant pas, Alphonse s’accroche et reprend des études : las, il est encore refusé. Même en tentant de devenir simple frère, on ne veut pas de lui, ni à Ségovie ni à Valence, jusqu’à ce qu’un provincial au nez creux comprenne qu’il a affaire à une âme simple, c’est-à-dire de celles que le Seigneur préfère. Enfin, le 31 janvier 1571, à l’âge de trente-sept ans, Alphonse Rodriguez entre au noviciat jésuite.
On le mute bientôt au collège de Montesion, à Palma de Majorque, comme portier. Cette tâche banale et répétitive réclame d’accueillir les visiteurs, de porter le courrier, de faire des courses, de donner l’aumône aux nécessiteux, mais aussi de converser avec les âmes en déshérence qui se présentent. C’est en cela que notre Alphonse se révèle : nul ne le croise sans ressentir l’immense bonté qui émane de lui. Pour Alphonse, chaque visiteur est le Christ lui-même : « Ce que vous avez fait au plus petit des miens, c’est à moi que vous l’avez fait. »
De 1579 à sa mort, en 1617, ce sont des flots d’étudiants qui bénéficient de l’affection et de l’amour de frère Alphonse, le plus humble des humbles. Parmi cette foule, l’histoire a retenu saint Pierre Claver qui, jeune homme, vint y chercher sa vocation. Et c’est frère Alphonse, déjà âgé de soixante-douze ans, qui lui conseilla la mission en Amérique du Sud, où il s’illustrera tant.
Ce n’est cependant qu’après la montée aux cieux du vieux frère portier qu’on découvrit dans ses Notes spirituelles et ses Mémoires quelle était sa profondeur d’âme, de quelles extases et de quelles apparitions il bénéficia.
Tous ces événements constituant une vie humblement amoureuse décideront le pape Léon XIII à le porter sur les autels en 1888. Il est aussi devenu le saint patron de tous les frères jésuites.
Jacques de Guillebon est essayiste et journaliste. Il collabore notamment à la revue catholique La Nef.
Aller plus loin :
Vie admirable de saint Alphonse Rodríguez, coadjuteur temporel de la Compagnie de Jésus ; d’après les mémoires écrits de sa main, par ordre de ses supérieurs, traduits de l’espagnol par un père de la même compagnie, Retaux-Bray, 1890. Disponible en ligne.