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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Les grands témoins de la foi
n°304

France

1566 – 1618

Madame Acarie ou le « livre vivant de l’amour de Dieu »

Fêtée le 18 avril, le jour de sa mort sur terre et de sa naissance au Ciel, Barbe Jeanne Avrillot naît à Paris en 1566. Épouse de Pierre Acarie, dont elle a six enfants (l’un deviendra prêtre et les trois filles carmélites), elle entre au Carmel après la mort de son mari. Son salon, du temps de sa vie dans le monde, accueille un cercle spirituel qui réunit des personnes de piété. Elle introduit alors en France les Carmélites réformées. Sa vie mystique est importante et culmine, après de nombreuses épreuves physiques qui la rapprochent encore du Christ, dans la réception invisible des stigmates. Elle meurt en 1618. Pie VI la béatifie en 1791.

Vitrail représentant le cardinal Bérulle et Marie de l'Incarnation lors de la fondation de la communauté du Carmel (Paris, église Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux). / © CC BY-SA 3.0, GFreihalter.
Vitrail représentant le cardinal Bérulle et Marie de l'Incarnation lors de la fondation de la communauté du Carmel (Paris, église Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux). / © CC BY-SA 3.0, GFreihalter.

Les raisons d'y croire :

  • Madame Acarie a une qualité remarquable, dont elle ne se départira jamais jusqu’à sa mort : un très grand bon sens. Les phénomènes mystiques qu’elle connaît ne sont donc pas à mettre sur le compte d’un tempérament fantasque ou d’une maladie mentale : elle est l’équilibre même. Nombre de prêtres et de gens du monde la consultent sur telle ou telle affaire en laquelle ils ne voient pas assez clair eux-mêmes.
  • Le soutien de son mari à la Ligue cause la ruine financière complète de sa famille. Exilé par le roi, c’est son épouse qui prend les rênes des affaires pendant environ quatre ans et parvient, avec une habileté qui étonne tout Paris, à obtenir du roi la grâce de son mari et éviter la saisie définitive de l’hôtel familial, quand les amis de la veille et ses proches parents même lui tournent le dos. Ces années prouvent avec évidence quelle femme d’énergie est madame Acarie, mais aussi combien elle se montre prudente et avisée.
  • L’invitation à aimer Dieu se traduit chez elle dans l’accomplissement achevé du devoir d’état. Favorisée de nombreux dons naturels, elle les utilise à bon escient grâce à la pratique d’une vie intérieure intense. Par ce moyen, elle sait accomplir de manière équilibrée ses devoirs envers Dieu et le prochain. Sa vie mystique ne l’empêche donc jamais d’être présente aux siens.
  • Son humilité et sa discrétion sur les grâces qu’elle reçoit sont connues de tous ceux qui l’approchent. Elle ne cherche jamais à tirer gloire des consolations reçues ; au contraire, elle fait tout pour les cacher. À la fin de sa vie, elle devient d’ailleurs sœur converse et non sœur de chœur.
  • Les épreuves n’ont pas manqué dans la vie de Barbe Acarie : vexations et mortifications de la part de sa mère, ruine financière de son ménage (les huissiers, arrivés pendant qu’elle dîne, lui retirent un jour jusqu’à l’assiette qui se trouve devant elle), nombreuses humiliations, chute de cheval qui la laisse handicapée jusqu’à la fin de ses jours, maladies régulières et douloureuses... Pourtant, sa vie intérieure ne fait que s’approfondir, témoignant par là d’un attachement authentique au Christ.
  • Madame Acarie supporte jusqu’à sa mort l’épreuve du feu qu’est la souffrance inhérente à toute vie humaine. Elle nous est pour cette raison particulièrement proche : ses souffrances authentifient la vérité de ses dires et de son exemple.
  • Elle obtient en 1603 du pape Clément VIII la bulle d’institution qui lui permet de fonder le premier carmel réformé à Paris. Six religieuses espagnoles, dont deux formées par sainte Thérèse d’Avila, forment le noyau de la communauté qui grandit si vite qu’il faut l’installer dans des locaux plus vastes : le carmel de Pontoise est ouvert le 15 janvier 1605. Signe de l’authenticité de l’œuvre divine opérée par l’intermédiaire de madame Acarie, on compte à sa mort vingt-sept carmels déchaux en France.

Synthèse :

Barbe Avrillot naît à Paris en 1566. Son père est maître des comptes de la Chambre de Paris et chancelier de la reine Marguerite de Navarre. C’est un homme de bien, très catholique et ligueur. Cet engagement le ruine. Barbe est confiée enfant aux clarisses de Notre-Dame de Longchamp. Sa tante maternelle, Isabelle Lhuillier, y est religieuse. Barbe apprend à lire, à chanter et à prier. Elle reçoit aussi une éducation virile qui constitue probablement le fonds de la force morale dont elle fera preuve plus tard.

Parvenues à l’âge de quatorze ans, les jeunes filles pensionnaires de ce couvent doivent décider de leur état de vie. Barbe, qui sert souvent les pestiférés et les malades du choléra à l’Hôtel-Dieu de Paris, aimerait y devenir religieuse. Ses parents ne l’entendent pas ainsi : ils la retirent donc du couvent des clarisses et la ramènent à la maison familiale. Mais Barbe refuse de jouer le rôle mondain que sa mère veut lui imposer. Elle délaisse les tenues précieuses et les bijoux de sa garde-robe. Pour briser sa détermination, sa mère la soumet aux rigueurs de l’hiver. Ses parents la marient à seize ans et demi à Pierre Acarie. Conseiller du roi et maître ordinaire en sa Chambre des comptes de Paris, comme son beau-père, Pierre Acarie compte parmi les quarante Parisiens qui forment le conseil du prince d’Aumale. Après la victoire d’Henri IV, un exil assez long en est le prix. C’est un homme bon chrétien, mais au caractère fantasque et sujet à la colère. Barbe craindra toute sa vie d’épouse ses accès d’humeur, même si les époux s’aiment.

Alors que son mari la surprend un jour lisant un roman en vogue, il emporte ce dernier et revient plus tard avec des livres de piété que son confesseur lui a conseillés. Parmi ceux-là, un ouvrage de M. Roussel, dans lequel Barbe lit : « Trop est avare à qui Dieu ne suffit. » Cette phrase ébranle son âme et fait naître en elle le goût très vif des choses de Dieu en même temps que le désamour du monde. Par la suite son intelligence et sa volonté lui semblent souvent être ravies hors d’elle-même dans un élan d’amour vers le Ciel. Elle ne comprend rien à ces manifestations qu’elle subit. Les médecins lui font des saignées, attribuant le phénomène à un excès de sang. Elle a alors environ vingt-deux ans. Trois de ses enfants sont déjà nés. Trois autres suivront, toujours bienvenus. Son caractère reste riant et vif. Ses confesseurs, dubitatifs, la laissent dans l’ignorance des phénomènes mystiques. Plus tard, un père capucin et un père jésuite se prononcent en faveur du caractère surnaturel des manifestations qui arrivent à madame Acarie. Son mari en est rassuré. Elle, cependant, ne craint rien tant que ces extases qui arrivent à l’improviste et font sa confusion devant tous. Un dimanche, elle demeure en l’église Saint-Gervais, sa paroisse, jusqu’à ce que l’on vienne l’y chercher, après s’être rendu d’abord en mille endroits : il fait nuit et elle n’avait pas quitté la chapelle depuis la fin de la grand-messe. Une autre fois, lors d’une procession religieuse à laquelle elle participait, elle sent son cœur si blessé d’amour divin qu’il lui semble se fendre en deux et qu’elle pousse un grand cri, que tous entendent et qui la laisse bien embarrassée quand elle s’en rend compte. Ces crises extatiques sont en effet douloureuses et c’est vers cette époque que les souffrances physiques des stigmates apparaissent.

Dom Jean de Saint-François, qui interroge un jour saint François de Sales au sujet des extases de madame Acarie, après la mort de cette dernière (le saint avait été son confesseur ordinaire pendant six mois), se voit répondre : « Elle parlait plus volontiers de ses fautes que de ses grâces » (J. de Saint-François, Vie du bienheureux Messire François de Sales). Elle est donc un modèle d’humilité et de vie intérieure.

Elle ne néglige pas pour autant son devoir d’état : elle s’occupe attentivement de l’éducation de ses six enfants, organise les affaires de sa maison et veille sur chacun, n’ayant rien d’autre en vue que le bien de toute sa famille. Elle abrège parfois ses dévotions à l’église pour ne pas risquer de mettre en retard les affaires quotidiennes matérielles de son ménage. Durant le siège de Paris par Henri IV, en 1590, elle se dévoue auprès des blessés et des malades à l’Hôtel-Dieu, et ordinairement à de nombreuses œuvres.

L’hôtel Acarie abrite un cercle spirituel que fréquentent son cousin, le cardinal Pierre de Bérulle, le capucin Benoît de Canfield, le théologien André Duval, qui sera son biographe, le chancelier Michel de Marillac, chef du parti dévot à la suite de Pierre de Bérulle et qui aidera madame Acarie à lever les obstacles juridiques et financiers à l’introduction en France des carmélites réformées, saint Vincent de Paul, saint François de Sales, enfin le cardinal François de Sourdis, qui travailla lui aussi à mettre en œuvre les réformes décidées par le concile de Trente.

La lecture des ouvrages de la réformatrice du carmel, mère Thérèse de Jésus, l’impressionne beaucoup. Madame Acarie témoigne que la sainte d’Avila lui est apparue deux fois, lui demandant d’introduire son ordre en France. Aussi, docile à la voix du Ciel, Barbe Acarie est à l’origine de la fondation du premier carmel réformé en France.

Puis, quand les soins qu’elle devait à ses enfants, devenus adultes, ne la retiennent plus, elle entre elle-même au carmel d’Amiens en 1614. Les phénomènes mystiques sont plus paisibles dans les dernières années de la vie de madame Acarie, devenue en religion sœur Marie de l’Incarnation. Qui émeut donc madame Acarie ? C’est Jésus-Christ. La présence réelle de l’Homme-Dieu au tabernacle est pour elle le centre de toutes choses : « Ce qui l’embrasait tout à fait et mettait son âme (s’il faut ainsi parler) en feu, c’était le saint sacrement, où Notre-Seigneur n’y est pas en image mais réellement en corps et âme » (A. Duval, La vie admirable de Sœur Marie de l’Incarnation).

C’est au carmel de Pontoise qu’elle s’éteint le 18 avril 1618. Elle est enterrée dans l’église du carmel, où ses reliques sont exposées aujourd’hui. Dès sa mort, de nombreux miracles ont lieu sur son tombeau. Trois d’entre eux sont cités pour le procès de béatification qui aboutit le 5 juin 1791, grâce aux efforts de sœur Thérèse de Saint-Augustin, la dernière des filles de Louis XV, qui sera elle-même carmélite.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Aller plus loin :

Le site Internet de l’association des amis de Madame Acarie, liée au carmel de Pontoise, présente en cinq langues et de manière agréable et instructive, les multiples facettes de la vie de la carmélite stigmatisée.


En savoir plus :

  • Madame Acarie, Écrits spirituels, Orbey, Éditions Arfuyen, coll. « Les Carnets spirituels », no 30, 2004. Cet ouvrage rassemble Les Vrais Exercices (publiés en 1622) et des lettres dont plusieurs étaient jusqu’alors inédites.
  • Philippe Bonnichon, Madame Acarie. Une petite voix à l’aube du grand siècle, Éditions du Carmel, coll. « Carmel vivant », 2002, 204 p.
  • Henri Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, vol. II : L’invasion mystique, Paris, Bloud et Gay, 1916, 615 p., au ch. IV : « Madame Acarie et le Carmel », p. 193-262. L’auteur étudie les transports mystiques qui ont accompagné la vie de madame Acarie.
  • Emmanuel de Broglie, La Bienheureuse Marie de l’Incarnation. Madame Acarie (1566 – 1618), Paris, Victor Lecoffre, 1903, 2e édition, 211 p.
  • Michel Picard, Madame Acarie, un portrait d’après ses contemporains, Pierre Téqui, 2004, 236 p.
  • Bernard Sesé, Petite Vie de Madame Acarie, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Petites vies », 2005. Réédition à Paris chez Artège, 2018, 208 p.
  • André Duval, La vie admirable de sœur Marie de l’Incarnation, religieuse converse en l’ordre de Nostre-Dame du Mont-Carmel, appelée au monde la Damoiselle Acarie, Douay, Baltazar Bélière, 1621, 660 p. Ce livre connut un grand succès en son temps : on en comptait déjà sept éditions en 1627. Il fut traduit en plusieurs langues et répandu dans toute l’Europe : gage de l’intérêt que ses contemporains immédiats portaient à la sainte carmélite. L’auteur la connut bien pendant vingt ans. L’édition originale est disponible en ligne.
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