Recevoir les raisons de croire
< Toutes les raisons sont ici !
TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Les martyrs
n°238

Maine-et-Loire

Entre octobre 1793 et juillet 1794

Les martyrs d’Angers et d’Avrillé

Entre octobre 1793 et juillet 1794, plus de 2 000 personnes sont exécutées après un simulacre de procès, guillotinées place du Ralliement, à Angers, ou fusillées au lieu-dit La Haye-aux-Bonshommes, sur la commune d’Avrillé, à la sortie de la ville, sur une pièce de terre appelée depuis Champ des Martyrs. Leur crime ? Leur fidélité à l’Église et à une conception chrétienne du monde et de la société, attitude qualifiée de « fanatisme », considérée comme incompatible avec le projet révolutionnaire de création d’un « homme nouveau » libéré des « superstitions » catholiques. En 1984, le pape Jean-Paul II a béatifié l’abbé Guillaume Repin, décédé à 85 ans, curé de Thouarcé, et 98 autres victimes de ces massacres, rappelant que leur sacrifice a contribué à mystérieusement empêcher l’accomplissement du plan de déchristianisation massive et totale de la France voulu par les autorités révolutionnaires. La mémoire des martyrs d’Angers est célébrée le 1er février, jour où, en 1794, il y eut 400 personnes exécutées.

Vitrail de Marie-Anne Vaillot et Odile Baumgarten, martyrs d'Angers, chapelle Saint-Louis-du- Champ-des-Martyrs à Avrillé. / © CC BY-SA 4.0 GO69
Vitrail de Marie-Anne Vaillot et Odile Baumgarten, martyrs d'Angers, chapelle Saint-Louis-du- Champ-des-Martyrs à Avrillé. / © CC BY-SA 4.0 GO69

Les raisons d'y croire :

  • Si ce n’est pas toujours le cas – de nombreuses victimes ayant été massacrées sans aucune forme légale, ce qui empêche d’instruire d’éventuelles procédures de béatification –, les cas des martyrs d’Angers et Avrillé sont bien documentés.
  • Parmi les milliers de victimes enterrées au Champ des Martyrs, l’Église a choisi d’écarter les dossiers à connotation politique (opinions royalistes ou participation à l’insurrection vendéenne) pour n’en retenir que 99. Il n’y a aucun doute subsistant sur le fait que la haine de la foi a motivé leur exécution et qu’elles ont préféré la mort au reniement de la foi catholique.
  • Ce choix suppose d’avoir une foi d’une force décuplée en Christ et en la vie éternelle. En effet, ces martyrs auraient pu assez facilement échapper à la mort, au prix du reniement de leurs convictions. Qu’ils aient préféré une fin abominable à cette trahison prouve l’action divine en leur âme, qui les a remplis de force et de courage jusqu’au bout.
  • Les procès-verbaux de leurs interrogatoires, qui visaient à les faire abjurer ou prêter le serment qu’ils avaient refusé, attestent non seulement d’un courage rare, mais aussi d’un sens de la répartie et d’une inspiration qui, chez des gens souvent très simples, semblent donnés d’en haut.
  • Deux filles de la Charité, sœur Marie-Anne et sœur Odile, prophétisèrent non seulement la date de leur mort (le 1er février 1794), mais aussi les circonstances exactes de leur supplice. Sœur Odile, qui craignait de souffrir, annonça qu’elle serait la première du groupe sur laquelle les bourreaux tireraient et qu’elle serait tuée sur le coup de « plusieurs balles qui la transperceraient ». Sœur Marie-Anne annonça que la première décharge la blesserait seulement – elle eut en effet le bras cassé par une balle – et qu’il faudrait l’achever.

  • L’attitude des deux religieuses fut si admirable que les témoins voulurent prélever des reliques. Une femme ramassa le chapelet que sœur Odile avait laissé tomber et l’un des bourreaux emporta leurs vêtements ensanglantés, ne cachant pas qu’il les tenait pour si précieux qu’il ne « les céderait pour rien au monde ».

  • Avant même que la Terreur soit terminée, des catholiques d’Angers et des environs commencèrent à se rendre sur la fosse commune, où reposaient les martyrs, et l’on y signala miracles et guérisons, ce qui amena à élever une chapelle dédiée à Saint Louis en 1852, puis à ouvrir la cause de béatification au début du XXe siècle, qui sera conclue positivement en 1984.

Synthèse :

La France du XVIIIe siècle est souvent présentée comme gagnée aux idées des philosophes des Lumières et de plus en plus indifférente en matière religieuse. C’est exact s’agissant des populations de quelques faubourgs parisiens, futurs bras armés de la Révolution, et de certaines élites intellectuelles appartenant à la haute bourgeoisie ou à une frange de la noblesse et de la Cour, jusque dans l’entourage de la famille royale. En rupture assumée avec la morale catholique, ne pratiquant plus et se moquant de ceux qui pratiquent encore, ces gens pensent faire l’opinion, et c’est en partie exact, car l’on ne voit et n’entend qu’eux. Leur agitation et leur propagande cachent le profond attachement silencieux d’une majorité de Français, de tous milieux, toutes origines, toutes régions, à la foi catholique. Si tous, la persécution venue, ne trouvent pas le courage de s’y opposer au péril de leur vie, des milliers de gens préfèrent néanmoins le martyre à l’apostasie.

À partir de l’automne 1793, alors que les autorités révolutionnaires reprennent le contrôle des provinces de l’Ouest, insurgées au printemps précédent, des commissions arrivent à Angers, avec la charge de réprimer toute forme de résistance et d’imposer partout la politique de Terreur et la déchristianisation. À partir de la fin décembre, outre de nombreux prisonniers vendéens, des milliers de gens s’entassent dans les prisons de la ville, souvent d’anciennes maisons religieuses. Les conditions d’hygiène sont épouvantables, tout comme la promiscuité, qui favorise les épidémies. Parmi eux, des prêtres réfractaires, des religieuses, des religieux, et surtout beaucoup de femmes qui ont permis la continuité du culte catholique dans la clandestinité, cachant leur curé, ses vicaires et d’autres personnes. En dépit des apparences, ce dont on les accuse est très grave : s’opposer à la politique de régénération de la Nation et s’être rendus coupables de fanatisme, autrement dit continuer à professer la foi catholique. Ce « crime » est passible de la peine de mort, et elle sera systématiquement appliquée à ces grands fautifs.

Dans le contexte du soulèvement vendéen de 1793, qui explique en partie l’extrême brutalité des autorités révolutionnaires locales, présidées par les conventionnels en mission Hentz et Francastel, et les atrocités qu’elles couvrirent, l’Église a opéré un choix parmi les victimes enterrées au Champ des Martyrs, écartant les dossiers à connotation politique – opinions royalistes ou participation à l’insurrection – pour n’en retenir que 99. Les élus sont 12 prêtres (Guillaume Repin, Pierre Tessier, Laurent Bâtard, Jean-Michel Langevin, François-Louis Chartier, Jacques Ledoyen, Joseph Moreau, François Peltier, André Fardeau, Jacques Laigno de Langellerie, René et Jean-Baptiste Lego, qui avaient refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé, jugé schismatique par Rome, ce qui aurait fait d’eux des fonctionnaires du nouveau régime), deux Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul (les sœurs Marie-Anne Vaillot et Odile Baumgarten), une bénédictine du Calvaire (sœur Rosalie Céleste de La Sorinière), 12 femmes et jeunes filles de la noblesse locale, 6 bourgeoises, 63 femmes et 3 hommes du peuple, tous accusés d’avoir caché des prêtres, leurs propres fils parfois, ou refusé d’assister aux messes des assermentés.

Contrairement à ce que l’on imagine, la majorité des suppliciés appartient au petit peuple, et non à la noblesse. Leurs réponses lors des interrogatoires sont remarquables. Le tisserand Antoine Fournier, de Cholet, s’est indigné des profanations de l’eucharistie et de la destruction des croix. Pis encore, il a caché son fils prêtre. À la question : « Souffririez-vous la mort pour la défense de votre religion ? », il répond laconiquement « oui », ce qui suffit à le perdre, avec cette justification : « Père d’un prêtre réfractaire et digne de l’être ».

Rosalie de La Sorinière, chassée de son couvent, est guillotinée à Angers le 27 janvier 1794 pour avoir dit qu’elle « voyait avec peine la Révolution » en raison des malheurs et violences qu’elle occasionnait. Comme on lui propose de sauver sa tête en renonçant à son habit de bénédictine, sœur Rosalie s’y refuse et lorsque, le lendemain, sur le chemin de l’échafaud, malgré le froid et la pluie, elle se dépouille de son manteau pour en couvrir une pauvresse qui venait de l’insulter, chacun constate qu’elle meurt revêtue de son habit religieux.

Rose Quenon, servante de 28 ans, a le malheur d’être très jolie. L’un des juges lui promet la vie sauve en échange de faveurs sexuelles. La jeune fille refuse avec indignation : elle est fusillée.

Plusieurs personnes, y compris parmi les bourreaux, tentent de sauver les Filles de la Charité, très populaires en raison du bien qu’elles font. On leur propose de rédiger un faux, dans lequel elles prétendraient avoir prêté le serment. Elles refusent. En marchant au martyre, elles chantent, comme leurs compagnons, le cantique à Notre Dame de la Bonne Mort : « Je mets ma confiance, Vierge en votre secours. » Sœur Odile laisse tomber son chapelet et, quand elle se baisse pour le ramasser, quelqu’un lui écrase volontairement la main de tout son poids, lui causant une telle douleur qu’elle manque s’évanouir. En la soutenant, sœur Marie-Anne lui souffle : « Une couronne nous est destinée ! Ne la manquons pas aujourd’hui. »

Conformément au vieil adage de Tertullien – « Le sang des martyrs est semence de chrétiens » –, la mort des martyrs d’Angers, comme celle des très nombreuses victimes, tuées partout en France pendant ou après la Terreur « en haine de la foi », interdira la réalisation du programme d’éradication du catholicisme voulu par les révolutionnaires et permettra, au XIXe siècle, un renouveau inespéré de la foi et des œuvres. Moins de cent ans après la Révolution, les trois quarts des missionnaires partis évangéliser le monde seront français.

Après la béatification isolée, en 1926, d’un prêtre, l’abbé Noël Pinot, guillotiné à Angers le 2 février 1794 et qui monta à l’échafaud revêtu des ornements sacerdotaux en chantant l’introït de la messe (« Introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam » : « Je monterai à l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouit ma jeunesse »), le diocèse d’Angers a poursuivi l’instruction des dossiers jusqu’à la béatification des 99 martyrs par le pape Jean-Paul II en 1984.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au-delà des raisons d'y croire :

Le soulèvement des provinces de l’Ouest, qui réclament le libre rétablissement du culte catholique et ne déposeront pas les armes avant de l’avoir obtenu, tout comme le nombre étonnant de martyrs et la persistance du culte clandestin qui survécut alors que ses fidèles risquaient leurs têtes, convaincra Bonaparte, après sa prise du pouvoir en 1799, de négocier un concordat avec Rome, rendant en partie sa place à l’Église française.

Le libre sacrifice des martyrs, qui ont préféré la mort au reniement, a si puissamment contrebalancé les crimes et sacrilèges commis dans le même temps qu’ils ont non seulement sauvé le catholicisme en France, mais aussi permis, grâce à une floraison exceptionnelle de vocations missionnaires au siècle suivant, la conversion de continents encore fermés au Christ.


Aller plus loin :

André Merlaud, Les martyrs d’Angers 1793-1794, Éditions SOS, 1984.


En savoir plus :

  • Ivan Gobry, Les martyrs de la Révolution française, Perrin, 1989.
  • Jean de Viguerie, Philippe Evanno, Dominique Lambert de La Douasnerie, Les martyrs d’Avrillé, catholicisme et Révolution, C.L.D., 1984.
  • Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, Martyres de la Foi, sœur Marie-Anne Vaillot et sœur Odile Baumgarten, 1984.
  • L’article d’Aleteia : « Les martyrs d’Angers : mourir pour la liberté de l’Église ».
  • L’homélie du pape Jean-Paul II, le 19 février 1984, lors de la cérémonie de béatification des martyrs d’Angers.
  • Discours du pape Jean-Paul II aux pèlerins d’Angers à l’occasion de la béatification de Guillaume Repin et de ses compagnons, le 20 février 1984.
Partager cette raison

LES RAISONS DE LA SEMAINE